Déjeuner avec ses collègues quand on est autiste, pourquoi ça coince ?

En plus de 30 ans d’expérience professionnelle au sein d’un nombre indécent d’entreprises, je n’ai déjeuné que quelques fois avec mes collègues, hormis avec ceux avec lesquels je m’entendais très bien et encore, pas tous les jours (je veux dire que je ne déjeunais pas avec eux tous les jours, pas que je m’entendais très bien avec eux, mais pas tous les jours, hein ?).

A vrai dire, parmi les autistes qui ont un travail et au sein de cette sous- catégorie, celle de ceux qui sont jugés dignes de déjeuners avec des collègues, peu sont à l’aise avec ce genre d’évènements sociaux. Ainsi, la dispense de ces déjeuners peut faire partie des aménagements au poste accordés aux personnes avec autisme (ouai, je sais, à ce stade, nombre de personnes non-autistes se disent : « Les veinards, ils sont dispensés ! »).

« M’enfin », comme dirait mon ami Gaston, pourquoi les autistes redoutent-ils tant ce genre d’évènements sociaux d’entreprise ?

Je me garderai bien de parler au nom de tous les autistes Asperger. D’une part car je suis très agacée quand j’entends ou je lis quelqu’un le faire. D’autre part car je ne peux affirmer que mes réticences, lesquelles s’expliquent par mes difficultés dans les interactions sociales, sont forcément les réticences des autres autistes (même si bon, trop de précautions tuent la précaution, on peut affirmer sans trop prendre de risques que ces difficultés dans les relations sociales concernent nombre d’autistes dans leur appréhension de partager un repas entre collègues).

K’ess à dire ? Eh bien, globalement, pour les non-autistes, les interactions sociales coulent de source : elles sont normales, ordinaires, spontanées et intuitives. Par exemple mener ou entamer une conversation, discuter avec les gens, exprimer des besoins etc. n’est pas forcément bloquant ou ne nécessite pas une préparation au préalable avant de se lancer.

Pour les personnes avec autisme, au contraire, les interactions sociales sont tout sauf limpides. Ainsi, en l’absence de manuel, rentrer en communication avec autrui peut compliquer considérablement la vie des autistes au quotidien. Bien sûr, ce degré de complication varie d’un autiste à l’autre, de même qu’il est plus ou moins visible.

Lorsque je dis que je suis autiste et que je rencontre des difficultés dans les interactions sociales, les gens sont incrédules.

En effet, comme beaucoup d’autistes femelles, je parle beaucoup et aisément, voire trop parfois, voire trop fort souvent.

Pour autant, la face émergée de l’iceberg est trompeuse. Hormis quelques particularités dont j’imagine qu’elles peuvent être agaçantes, à savoir que je coupe facilement la parole de mes amis lorsqu’on nous sommes en groupe, rien ne laisse voir que je râme avec les interactions sociales.

Concrètement, comment ces difficultés se manifestent-elles pour moi, quelle est la face immergée de l’iceberg et pourquoi la perspective de déjeuner avec des collègues n’est pas forcément réjouissante pour moi ?

D’une part, si je déjeune avec un ou plusieurs collègues, il y aura toujours un moment où nous devrons marcher ensemble pour nous diriger ou revenir du lieu du déjeuner. Ma première difficulté réside dans mon positionnement physique. A savoir que j’ignore comment me placer au sein d’un groupe, qui plus est, mobile. Devant, au milieu, sur les côtés ?

Devrais-je marcher en crabe ?

Ou en pas chassés ? Tout en continuant à échanger..

.. ben oui passke pendant ce déplacement, on est censé parler.

Or, avancer tout en me concentrant sur la conversation requiert beaucoup d’énergie de ma part. En tant qu’autiste, je ne peux pas être au four et au moulin, mobiliser simultanément plusieurs canaux sensoriels : l’ouie et la vision, voire la proprioception.

Et pour peu que le déjeuner ait lieu à Paris 8 ou dans l’un de ces endroits où les trottoirs sont riquiquis et déjà pleins d’autres collègues qui vont déjeuner ensemble, c’est le pompon !

A ce stade, il ne s’agit plus de difficultés dans les interactions sociales mais a priori, plutôt de mon trouble de proprioception.

Pour les personnes qui ignorent ce qu’est la proprioception, c’est la « perception, le plus souvent inconsciente, que l’on a de la position de son corps dans l’espace » (Site du CNRTL).

Ne raccrochez pas, c’est pas terminé.

Une fois à table, et là nous en revenons aux difficultés dans les interactions sociales, j’ignore quand c’est mon tour de parler ou bien si je suis autorisée à me taire sans passer pour une personne malpolie. Pour tenter de le savoir, je dois scruter le regard de mes collègues à l’affut d’un signe de leur part ou plutôt de ce que j’interpréterai comme un signe. Cela créé une tension pour moi et m’empêche d’être pleinement à ce que je suis : ni totalement avec mes frites, ni totalement dans la conversation.

Cela fait beaucoup pour un déjeuner et ajoute à ma fatigabilité déjà élevée, comme pour tout autiste qui se respecte.

Pourtant, que ce soit pour déjeuner en one to one avec un.e (ex) collègue ou bien en groupe avec des collègues que j’apprécie et avec lesquels j’ai l’habitude de déjeuner (cela est important car certaines marques sont déjà prises, ce qui diminue d’autant l’imprévu, ennemi officiel des autistes), le bénéfice humain que j’en retire supplante largement la fatigue générée.

En revanche, lorsqu’il s’agit des redoutables déjeuners imposés et ultra codés auxquels il faut se plier lorsqu’on rejoint une société, c’est autre chose. Et vu le nombre de fois où j’ai changé d’employeurs, je peux affirmer que j’ai une certaine pratique en la matière.

En effet, que ce soit l’ambiance pas toujours détendue, la volonté de bien se présenter ou la nouveauté-nouvelle, ce genre de déjeuner est pour moi désagréable et très fatigant. Trop de choses à gérer à la fois et un apport humain égal à zéro.

J’ajoute que je mange lentement, que je ne peux parler et manger en même temps, ni n’en vois l’intérêt. Et comme si ça ne suffisait pas, consciente de ma lenteur, je tente de suivre ce que les autres mangent afin d’estimer le moment où ils finiront leur plat, en vue de me caler sur eux. Résultat des courses, je repars trop souvent de ces déjeuners fatiguée et le ventre vide, ce qui est fort dommage car en général ces déjeuners ont lieu dans des restaurants de qualité.

Voilà pourquoi un repas avec des collègues est rarement serein pour moi…

Publié par Sylvie Seksek

Mon blog sur l'autisme

4 commentaires sur « Déjeuner avec ses collègues quand on est autiste, pourquoi ça coince ? »

      1. Tout cà parce que les gens ordinaires ont des conversations stupides donc forcément ils nous fatiguent, j’ai du mal à les supporter trop longtemps même s’ils sont sympathiques. De plus, ils ne nous poussent pas à être curieux leur banalité est affligeante.
        Je souffre de TSA aussi mais je n’ai pas de travail.
        Le seul truc qui passe c’est que je reste moi-même, je dis pardon quand j’ai coupé la parole à quelqu’un et je préfère manger mes frites , penser à mon estomac, même si je ne parle pas en mangeant aussi. De toute façon c’est aussi un peu aux autres de nous accepter aussi , ce monde nous pousse à faire des efforts mais il y a rien en retour.

        Aimé par 1 personne

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